mardi 27 novembre 2012

Le Thé - Histoires d'une boisson millénaire




Boisson la plus bue au monde après l'eau, le thé est originaire de Chine, où selon la légende, ses vertus sont appréciées depuis des milliers d'années. L'arbuste dont il est issu, le théier, est un cousin du camélia horticole qui au printemps, se couvre d'une multitude de petites fleurs blanches au cœur jaune vif. (...) La cueillette des feuilles tendres a lieu dans les jardins enveloppés de brume à l'époque de la fête de Pure Clarté. Il existe six grandes sortes de thé, qui correspondent non pas à des variétés mais à des types de traitement spécifiques:
  • le thé blanc: nouveaux bourgeons séchés.
  • le thé jaune: bourgeons et feuilles légèrement oxydées à l'étouffée.
  • le thé vert: feuilles entières, légèrement grillées.
  • le thé bleu-vert (Oolong): oxydé et fermenté;
  • le thé noir (Pu'er): double oxydation;
  • le thé rouge (Lapsang-Souchong): complètement oxydé et fumé.
L'exposition du Musée Guimet, en partenariat avec Le Palais des Thés ®, propose tout d'abord de redécouvrir les parfums et les saveurs des différents thés à l'aide de plusieurs ateliers de dégustation ouverts aux adultes comme aux enfants. Cette introduction à la fois olfactive et gustative est aussi l'occasion d'un agréable rappel sur les lieux et étapes de la fabrication, de la récolte des petites feuilles jusqu'à l'éveil de nos sens. Cette première partie, ludique et parfumée, s'organise autour d'échantillons variés, aux couleurs et aux noms très poétiques tels "Menthe glacée" ou "Thé des Sherpas", une tasse d'un thé aux notes subtiles de bleuet, fleurs de cerisier et yuzu -créé pour l'occasion en hommage à Émile Guimet- ponctuant l'ensemble.

Puis on entre brutalement dans l'univers massif et étrange d'Ai Weiwei, artiste conceptuel chinois affrontant courageusement la censure de son pays, en tombant sur sa Tonne de Thé, figurant la boisson en tant que produit industriel actuellement universel. Cependant, on découvre ensuite un petit film aux sons et aux images autant esthétiques que délicats, qui présente une dégustation des plus précieux thés par Maître Tseng Yu Hui, court-métrage dont on ne regrette que les quelques lourdeurs visuelles reprenant ses évocations semblables à des haïkus.
Vient alors l'exposition proprement dite, regroupant une sélection d'objets d'art classés selon les trois modes de préparation historiques, le thé ayant d'abord été bu bouilli, puis battu, et enfin infusé.
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L’ÈRE DU THÉ BOUILLI
La recette consiste à broyer les feuilles et à les faire bouillir dans une marmite en y ajoutant des herbes voire même du beurre ou du lait. Cette "potion magique" est ensuite servie dans des bols à la louche (tiens, ça ne vous rappelle rien?).
Au 7ème siècle après J-C, sous la dynastie Tang (618-907), le thé, favorisant l'éveil spirituel, est la boisson des moines bouddhistes, tandis que le vin, pouvant être source d'ivresse, est encore vénéré par les lettrés. Au siècle suivant, Lu Yu, avec son approche poétique, contribue à faire du thé un art noble.
Dès lors, la production de céramique se développe rapidement, les Chinois fabriquant des objets en grès plutôt austères et dépouillés.
Puis, conditionné en galettes compactes, il devient une précieuse monnaie d'échange à l'origine de l'Ancienne Route du Thé et des Chevaux reliant le Yunnan et le Sichuan au Tibet, au Qinghai et à la Mongolie, seules régions où le thé est encore bouilli de nos jours.

L’ÈRE DU THÉ BATTU
Cette technique implique l'utilisation de nouveaux ustensiles: un fouet, un bol en grès, en céladon puis en porcelaine, un récipient cylindrique pour l'eau froide mais aussi nombreux petits accessoires comme la louche et la cuiller en bambou permettant le dosage, la boîte à thé (natsume) et son étui de soie ou encore le petit tissu (fukusa) utilisé pour tout essuyer, également en soie. Il s'agit de réduire les feuilles de thé vert en fine poudre (matcha) et de mélanger celle-ci dans le bol avec de l'eau bouillante. Cette émulsion mousseuse constitue un breuvage tonique et stimulant. Un léger repas est parfois servi à cette occasion dans de petits plateaux de grès asymétriques du type Oribe.
Patronné par la cour des Song (960-1279), l'usage du thé se répand dans toute la Chine, encourageant la fabrication de céramique, puis de porcelaine de toutes sortes à la suite de la découverte de gisements de kaolin vers l'an 1000.
Les premiers théiers sont acclimatés au Japon aux 12ème-13ème siècles. Les moines bouddhistes, notamment ceux de la secte Rinzai contribuent à répandre la pratique du thé. A Kyoto, dans le temple Daïtoku, fondé en 1319, se développe l'art de la cérémonie du thé (chanoyu), extrêmement codifié. Le célèbre maître Sen no Rikyu (1522-1591), adepte du wabi-sabi, ou "simplicité mélancolique", sera à l'origine des fameux bols raku aux formes irrégulières (renflements, craquelures, imperfections...), à l'usure du temps simulée et à la teinte souvent très sombre (temmoku), faisant ainsi ressortir la blanche écume obtenue à l'aide du fouet.
Alors que les Chinois apprécient leur thé à l'extérieur et en pleine nature, les Japonais préfèrent le savourer et le partager avec des invités dans un lieu prévu à cet effet: le pavillon de thé. Cette construction d'aspect aussi humble que raffinée, située dans un jardin, permet d'isoler l'instant de la dégustation dans l'espace et le temps, invitant encore aujourd'hui à considérer, comme Rikyu, le caractère unique de chaque rencontre, qui jamais plus ne se reproduira.

L’ÈRE DU THÉ INFUSE
La méthode est la suivante: les feuilles sont cueillies, séchées, grillées, et il suffit ensuite de les faire infuser dans de l'eau bouillante. Plus nécessaire d'être équipé de matériel élaboré: une théière en grès ou en porcelaine et quelques bols suffisent.
La théière ayant été inventée au début des Ming (1368-1644), c'est l'Empereur Hongwu qui fut à l'origine du développement de cette préparation, en promulguant en 1391 un décret qui imposait un retour à la simplicité. Les lettrés chinois prennent alors goût à se retirer dans la nature pour méditer sur la fragilité et l'impermanence du monde.
A partir du 17ème siècle en revanche, sous les Qing (1644-1911), le style mandchou puis les inspirations occidentales sont à l'origine d'ustensiles richement décorés: grès, porcelaines, puis émaux réalisés pour les Empereurs Kangxi (1662-1722) et Yongzheng (1723-1735), émerveillés par ceux de France effectués sur cuivre. C'est d'ailleurs l'un de ces sublimes bols impériaux qui orne l'affiche de l'exposition.
Parallèlement, la vaisselle monochrome, orange, rouge, bleue, violette ou brune est également très appréciée, la couleur unique mettant en valeur les formes des récipients.
Tout comme la soie, le thé, un des trésors de la Chine, sera exporté par voie terrestre ou maritime. La première cargaison arrive en Occident en 1606. Peu à peu, la boisson entre d'abord ans les maisons princières, tout comme les modèles de céramiques réalisés spécialement pour l'Europe. Ce n'est qu'au milieu du 18ème siècle que les manufactures de Hollande, de France et d'Allemagne commenceront à produire leurs propres nécessaires à thé, les tasses à anses remplaçant les bols. En 1848, l'Angleterre parvient à trouver le secret de la fabrication du précieux liquide grâce au botaniste Robert Fortune; elle fait aussitôt installer des plantations en Inde, sur les contreforts de l'Himalaya (Darjeeling), concurrençant bientôt le thé chinois...
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Au-delà d'une simple boisson, le thé est une véritable philosophie de vie inspirée du confucianisme et du bouddhisme Zen. Permettant de vivre pleinement l'instant présent, il s'associe toujours à la notion de partage, qu'on le boive en communion avec la nature ou entre amis. Harmonie, respect, pureté et sérénité, voilà les principes fondamentaux de la Voie du Thé, suggérant de se rapprocher autant qu'on peut d'un idéal de sagesse vivante au fil de sa pratique...

Implacable et sensible, féminine et puissante, traditionnelle, intemporelle et moderne, asiatique et européenne, étrangère mais pas déracinée, universelle et inimitable, structurée, perfectionniste et créative, indépendante et respectueuse des usages, artiste mais pas torturée, sereine, énigmatique mais sans affectation, naturelle, elle s'évade inexorablement des descriptions réductrices.
Maître Tseng Yu Hui est à la fois mystérieuse et limpide.
(...)
Maître Tseng est une référence incontournable, mais insaisissable...
Extraits du "Portrait d'un maître de thé", par Tran Anh Hung.
Note: les passages en italiques sont des citations du texte de l'exposition.

Informations concernant la visite ici:

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