vendredi 28 février 2014

Kaiko - La Sériciculture Impériale du Japon

 Comme dans un rêve à la perfection esthétique et sacrée, le visiteur progresse dès son entrée dans un monde soyeux d'exception, se mettant peu à peu au rythme lent mais précautionneux de l'élevage des différentes espèces de chenilles (nommées "Kaiko" en japonais) tel qu'il est toujours pratiqué au sein de la Magnanerie Impériale (la "Momijiyama Imperial Cocoonery"). Établie en 1871 grâce au soutien de l'Impératrice Shôken (épouse de l'Empereur Meiji) pour encourager l'essor de l'industrie textile japonaise ainsi que les exportations de soie grège vers l'Occident, cette sériciculture prestigieuse est depuis cette époque placée sous le haut patronage des impératrices se succédant au fil du temps.




LES ÉCHANGES FRANCO-JAPONAIS SOUS LE SIGNE DE LA SOIE

En 1872, un an après la création de cette magnanerie, la France (qui avait été l'un des principaux clients du Japon - au moment où celui-ci s'ouvrait à l'étranger - pour la soie et les œufs de Bombyx suite à la grande épidémie de pébrine qui dévasta ses élevages au milieu du 19ème siècle) procura à l'archipel le savoir-faire et les moyens techniques nécessaires à l'installation de la toute première filature mécanique nippone à Tomioka. De nombreux autres bâtiments semblables ayant été rapidement construits dans plusieurs régions, les Japonais purent bientôt bénéficier, également grâce aux Français, des procédés de teinture les plus modernes, dont ils sauront habilement tirer parti par la suite. Car si de nos jours les fibres synthétiques sont favorisées, y compris là-bas, en ce temps-là elles étaient encore presque inexistantes, et la soie était utilisée dans de nombreux domaines, à commencer par l'habillement (le kimono - excepté sous sa forme yukata - étant presque systématiquement réalisé dans cette matière). Ces échanges riches, multiples et fructueux contribueront à tisser des liens solides entre les deux pays pourtant très éloignés l'un de l'autre tant géographiquement que culturellement.



L’ESPÈCE "KOISHIMARU"...

A partir de 1989, chaque année, au printemps ou au début de l'été, perpétuant cet héritage ancestral, Sa Majesté l'Impératrice Michiko participe à son tour à la plupart des étapes de l'élevage des chenilles issues de quatre espèces différentes, l'une formant un cocon vert, une autre un jaune, les deux dernières bavant une soie blanche, qui dans le premier cas donne un cocon ovoïdal et dans le deuxième un cocon plus étroit en son milieu, cette dernière caractéristique étant la plus reconnaissable de l'espèce "Koishimaru", endémique du Japon. Parmi les autres particularités de celle-ci: le papillon pond bien moins d'œufs que les autres et ses chenilles sécrètent un fil deux fois plus fin (et donc plus fragile), mais d'une beauté et d'une qualité incomparables. Sa production étant très faible, elle fut abandonnée petit à petit au profit des autres espèces, et la Magnanerie Impériale envisageait même sa disparition prochaine. Cependant, Sa Majesté l'Impératrice décida dès 1990 de maintenir son élevage, cueillant elle-même les feuilles sur les mûriers pleureurs du jardin pour nourrir les petites bêtes, et allant jusqu'à fabriquer de ses mains des assemblages rigides de paille pour l'encabanage (qui sert de support aux chenilles pour tisser leur cocon), laissant de côté les "hérissons" de plastique utilisés partout aujourd'hui.



.. ET LES ÉTOFFES TEINTES ANCIENNES

Quatre ans plus tard, en 1994, sa volonté fut récompensée de façon plutôt imprévue: en effet, des recherches menées sur des étoffes à restaurer faisant partie du trésor impérial du Shôsô-in datant pour la plupart du 8ème siècle (époque Nara, 710-794) montrèrent que c'est le fil de cette espèce "Koishimaru" qui avait été utilisé! Aussi le relancement de sa production, même en très petites quantités, permit de sauver nombre de ces pièces de tissu témoins d'un passé lointain.. voire même un peu plus proche, puisqu'un célèbre rouleau peint du 14ème siècle (époque Kamakura) a pu par cette occasion retrouver toute sa splendeur.



Découvrant une sculpture d'ivoire de petits Bombyx tout duveteux plus vrais que nature, à taille réelle et ayant encore la fraîcheur des papillons vivants à peine sortis de leur cocon, les cérémonies marquant le début et la fin de la saison d'élevage, les objets utilisés par Sa Majesté l'Impératrice lors de ces rites quasi religieux, les incroyables damassés de soie multicolores aux fleurs et aux oiseaux reproduits à l'identique d'après d'anciennes tentures, puis l'ensemble de costumes de cour somptueux qu'elle a accepté de prêter à la Maison de la Culture du Japon à Paris pour cet événement (dont quelques-unes de ses robes et leurs petits accessoires au raffinement aussi sobre que luxueux, auxquels contrastent par la magnificence de leurs motifs brodés quelques kimono portés par l'Empereur enfant datant des années 1930), le visiteur semble finalement enveloppé lui aussi d'un cocon l'isolant de toute préoccupation ou bruit du dehors, entamant peut-être déjà sa transformation intérieure...




Ainsi, comme je l'écrivais dans le livre d'or, c'est une exposition sublime qui nous plonge dans un univers de soie merveilleux; je m'associe de tout cœur au vœu de Sa Majesté l'Impératrice pour que soit perpétué encore l'élevage de ces si précieuses chenilles "Koishimaru".

Pour plus d'informations ainsi que quelques très belles images, c'est par ici: