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Affiche de l'exposition. Ciel et Lac, Fukumi Shimura, 2007. Pongé de soie tissée en camaïeux d'indigo. Reflets du ciel au dessus du lac Biwa dans la plaine d'Omi. |
Beaucoup de monde lors du dernier jour de cette magnifique exposition! Pourtant, point de bousculade, pas même une once d'agressivité. Et ce malgré les événements tragiques qui venaient de se dérouler dans la capitale au cours de la semaine précédente. Les différents objets et œuvres présentés y sont sûrement pour quelque chose, car chaque nouveau visiteur semblait ressentir presque instantanément l'harmonie et la paix qui en émanait. Une déclinaison d'un art textile à l'atmosphère recueillie, quasi religieuse, ou tout au moins empreinte de méditation.
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Byobu, paravent doré orné de kasaneirome; Fukumi Shimura, 1998. Échantillons de soie. |
Il est vrai que les kimonos en tsumugi - pongé de soie tissé avec les cocons tachés ou ayant des défauts, d'aspect mat, pourvu de légères irrégularités, originellement réservé aux classes modestes - de
Fukumi Shimura ainsi que ceux de
sa fille aînée et disciple Yoko sont le résultat d'un lent et minutieux travail en lien étroit avec une nature vénérée.
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Idem, détail. Les petits rectangles en soie de juban (kimonos de dessous) forment de subtils dégradés, comme pour mieux
mettre en évidence la valeur de chaque nuance, tout en jouant sur les
effets d'opacité ou de transparence du tissu. |
Le
tsumugi, tout comme le
kasuri (
ikat) qu'elles maîtrisent également, consiste à teindre les fils avant le tissage (contrairement à d'autres
techniques d'ornementation du kimono comme le
kyo-yuzen, et le
kaga-yuzen, réalisés en réserve à l'aide de pochoirs), ce qui nécessite un
grand savoir-faire.
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Ibidem. Kasaneirome
désigne les règles d'agencement des couleurs suivant le rang, l'occasion et les
saisons, combinaisons établies depuis la période Heian durant laquelle
les femmes de la noblesse étaient vêtues du junihitoe, lourde superposition d'une douzaine de kimonos, qui n'est plus portée qu'au sein de la famille impériale pour les mariages (voir par exemple ici: http://emmanuellewaechter.blogspot.fr/2012/02/showa-tenno-and-kojun-kogo.html) et les couronnements, ou lors de certains matsuri (festivals).
Ces associations chromatiques constituent une base esthétique
sûre à laquelle se réfèrent toujours les Japonais aujourd'hui, et ce quel que soit le degré de formalité (kaku) de leur habit. |
Ainsi Fukumi et Yoko Shimura concentrent leur attention autant sur l'élevage des chenilles, le filage à la main, la culture des plantes,
la préparation de la teinture et le mordançage, que le tissage.
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Ispahan, Yoko Shimura, 2002. Fils de soie; grémil des teinturiers (violet), pelure d'oignon (brun), roseau du Japon (jaune pâle), gardénia (jaune vif). |
Tout d'abord, l'ensemble des effets de l'activité artisanale sur l'environnement doit être géré de façon écologique, sans nuisances pour l'extérieur (voisinage, vie sauvage, paysage..), ou le moins possible.
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Idem, détail; les dessins géométriques rappellent l'architecture et l'artisanat de la célèbre ville d'Iran. Cette fine étoffe annonce déjà par sa thématique la suite de l'exposition... |
En ce sens les éléments ainsi que les substances utilisés durant les différentes phases d'élaboration des étoffes
doivent être naturels et considérés comme un cadeau d'ordre divin pour lesquels on doit témoigner sa reconnaissance (eau, feu, air, terre, arbres, écorces, brindilles, feuilles, fleurs, cocons, minéraux et métaux).
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Fils de soie naturels, principaux végétaux utilisés pour la teinture et résultats obtenus sur la fibre textile à la suite des "bains" réalisés avec chacune des plantes. |
Pas question donc ici de gaspiller ni de jouer aux "apprentis sorciers" avec des produits chimiques industriels,
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A gauche, suzushi, soie grège, directement issue du cocon (avant décreusage), au centre, tama ou fushi ito, soie irrégulière (principalement utilisée comme fil de chaîne) et à droite, mawata, soie cardée et peignée (servant le plus souvent de fil de trame). |
d'autant que le monde végétal à lui seul recèle en réalité toutes les couleurs que l'on connaît, pourvu qu'on sache seulement les en extraire!
Or c'est là que réside toute la difficulté: il est impossible d'obtenir directement depuis les plantes les teintes que nos yeux distinguent (le pistil orangé de la carthame donne du rose, pour le vert, il faut mélanger du bleu et du jaune, etc), et le résultat ne sera de toute façon jamais deux fois identique.
Ensuite les êtres vivants (humains, animaux, plantes), dont certains se trouvent
engagés malgré eux dans la production, doivent être traités avec
bienveillance et le plus grand soin:
en effet le résultat n'en sera que plus beau si chacun peut y mettre le meilleur de soi(e)!
En plus de ces principes fondamentaux, Fukumi Shimura suit d'autres
méthodes plus subtiles permettant de se rapprocher encore des cycles
naturels,
comme par exemple tenir compte des variations
saisonnières, quotidiennes, journalières (entre l'énergie du matin,
celle de midi et celle du soir), nocturnes (tombée et milieu de la nuit,
aube),
ou bien encore de la position des astres et planètes les unes par rapport aux autres,
en utilisant notamment le
calendrier lunaire, outil bien connu des jardiniers et paysans de l'ancien temps.
Il s'agit pour elle de vivre au rythme de l'univers, de la nature et des saisons en leur témoignant son plus profond respect ainsi que sa gratitude.
Des prières shinto accompagnent d'ailleurs chaque étape de ce processus presque sacré.
Car dans une telle alchimie entre l'environnement, les végétaux, les
animaux et les hommes, il s'avère indispensable de maintenir un
équilibre, vital autant que fragile, dans un monde sans cesse en
mouvement.
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Soie teinte en vert, bleu, violet, |
Dans cette conception ancestrale de l'impermanence de toute chose, les couleurs, de par la multitude de leurs nuances,
offrent la possibilité de fixer l'image d'un instant sur un support
matériel mais aussi culturel, ici le vêtement traditionnel, "la forme même de l’esprit japonais, pourrait-on dire" (...) "qui a résisté à toutes les époques et perdure encore", comme l'exprime si bien Fukumi Shimura.
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jaune, brun, rouge, rose, gris. |
Laisser s'écouler sur soi(e) le courant de la modernité sans perdre ses
racines profondes: sans doute se trouve-là une des clés de l'esprit nippon face
à l'inévitable évolution des modes de vie.
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Rêve de tensan, Fukumi Shimura, 1995. Fils de tensan. |
Voilà maintenant plus d'un demi-siècle que Fukumi Shimura teint et tisse ses précieux fils de soie, les transformant en pièces d'exception.
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Idem, détail. Tensan est le nom japonais de la saturnie du chêne, un papillon dont la chenille ne se nourrit que des feuilles de cet arbre et fabrique un grand cocon vert pâle. Ainsi ce kimono permet de s'enrouler dans cette teinte fraîche et subtile, tout comme l'insecte avant sa métamorphose. |
Née en 1924, adoptée par un oncle paternel, elle fut, enfant, très proche de son frère aîné, peintre, qui l'initia à l'art et
à la littérature.
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L'Unique, Fukumi Shimura, 2012. Pongé de soie; arbre du clergé (bleu clair), garance (orange), indigo (bleu foncé) et roseau du Japon (jaune pâle). |
Fukumi Shimura fut notamment impressionnée par
Théodore Dostoïevski, mais lut ensuite nombre d'autres grands auteurs occidentaux.
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Idem, détail. Cette pièce très douce, telle une aquarelle, représente les premiers signes d'un changement de saison décrits dans un très ancien poème de l'empereur Go-Toba (1180-1239): "Lueur indécise / Ne dirait-on pas le printemps / au loin, dans le ciel / Et la brume s'éploie en nappes / sur le mont Amanokagu-yama". |
Dès le début des années 1950, elle quitta Tokyo, son mari et ses enfants
pour rejoindre sa mère, tisserande dans l'esprit du
mouvement Mingei
(qui œuvrait pour la reconnaissance des arts populaires) dans son
atelier de Kyoto.
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Ichiyo, Yoko Shimura, 2003. Pongé de soie; sappan (rouge), indigo (bleu foncé), roseau du Japon (jaune pâle), pelure d'oignon (brun), branches et feuilles de chêne (gris). |
Ayant remporté en 1958 son premier prix d'encouragement à l'Exposition
de l'artisanat traditionnel du Japon au bout de seulement trois ans de
pratique, elle s'installe définitivement dans l'ancienne capitale impériale vers la fin des années 1960.
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Idem, détail. Ce modèle, dont le style (teintes sombres, sobriété, absence de motifs) se rapproche quelque peu du kimono masculin, est un hommage à Higuchi Ichiyo (1872-1896), première romancière qui, dans le Japon de la seconde moitié du 19ème siècle, fut capable d'affirmer sa personnalité de femme moderne. |
Elle se plonge alors avec passion dans l'univers chromatique spécifique à l'archipel, puis élargit ses recherches à partir des années 1980
et découvre avec un vif intérêt les traités de
Johann Wolfgang von Goethe et
Rudolf Steiner
sur les couleurs.
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Chant du matin... |
Régulièrement honorée pour son travail, Fukumi Shimura fut nommée en
1990
Ningen Kokuho, Trésor national vivant (titre décerné aux personnes
considérées comme détenant un bien culturel immatériel important) et a
reçu tout récemment le
prix Kyoto des Arts et de la Philosophie (distinction privée la plus élevée pour l'ensemble d'une œuvre, fondée par le
Dr. Kazuo Inamori) de
2014.
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..et Chant du soir de Tagore, Yoko Shimura, 1996. Pongé de soie; sappan (rouge) et glands de chêne (gris). |
Ensemble, les deux tisserandes ont ouvert
l’École Ars Shimura en 2013, et prévoient d'en inaugurer une deuxième en cette année 2015, tandis qu'elles continuent de perpétuer leurs précieuses techniques et de transmettre leur savoir inestimable à travers le monde, par le biais d'expositions, de livres, et de voyages:
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Chant du soir, détail. Chant du matin et Chant du soir de Tagore s'inspirent d'un poème de l'écrivain indien Rabindranath Tagore, dont la lecture s'avère précieuse pour "s'éloigner de toutes les pensées envahissantes du quotidien et avoir la sensation que s'ouvrent les portes du cœur". Apparaissant comme un "entre-deux", le motif du damier figure les ouvertures des maisons de bois asiatiques en même temps que celles plus abstraites de notre intériorité, image de notre regard donnant sur le monde extérieur. Par ailleurs l'énergie apparaît plus contrastée à lumière du matin (alternance de carrés très clairs et très foncés), tandis que celle du soir s'atténue au point que les différences semblent peu à peu s'estomper. |
Indonésie, Mexique, Thaïlande, Inde, Iran, France, etc.
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Lune et étoile, Yoko Shimura, 2007. Pongé de soie teintée à l'indigo, fils d'or et d'argent. |
Les pays visités, en retour, sont l'occasion pour elles de nourrir leur inspiration et leur créativité,
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Idem. L'ornementation chatoyante de ce panneau ne se révèle que sous un certain angle de vue, tels les mystères de la voûte céleste, laquelle, en l'absence de la lumière du soleil, devient semblable au lapis-lazuli... |
donnant une portée toujours plus vaste à chacune de leurs nouvelles réalisations.
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Ibidem, détail. Ce thème astrologique et symbolique (nuit, lune et étoile), encadré d'une large bordure reprenant les mosaïques arabes, renvoie directement à la spiritualité et à la sagesse orientale, dans lesquelles chaque forme est pensée comme une expression divine et sacrée. |