De toute la peinture ancienne, hormis les œuvres de l'antiquité (romaine, grecque et surtout égyptienne), c'est celle d'Asie que je préfère: pourtant les génies n'ont pas manqué en Occident, du Moyen-Âge au 20ème siècle! Et Paris regorge de musées (
le Louvre,
Orsay,
le Petit Palais,
l'Orangerie,
Jacquemart-André, etc) où nombre de pièces d'exception sont exposées au public!
La peinture chinoise, qui fut à l'origine de l'art pictural de l'ensemble de l'Extrême Orient (Corée, Japon et Asie du Sud Est) présente un certain nombre de particularités mais aussi un état d'esprit qui correspondent davantage à ma sensibilité: l'usage souvent délicat de la peinture à l'eau sur papier ou sur soie, l'importance de la nature et de sa contemplation, et l'humilité traditionnelle des Asiatiques, qui ne se placent jamais au centre de l'univers dans lequel ils évoluent.
A l'origine, les supports artistiques étaient principalement en pierre (murs), en terre (poteries) ou en métal (divers
objets sculptés); plus tard le papier et le tissu fin devinrent les surfaces
les plus appréciées pour l'art noble de la peinture, l'ornementation
des objets usuels devenant le seul apanage de l'artisanat.
Pour ce qui est de la technique, les artistes chinois n'utilisaient pas de peinture à l'huile, mais des encres (obtenues avec de la fumée et de la gomme comprimées en bâtons puis séchées), diluées dans de l'eau, soit noires (lavis), soit de couleur (un peu comme pour l'aquarelle). Cette technique donne un résultat toujours plus ou moins "aquatique" ou "vaporeux", quel que soit le style de l'œuvre, ce qui est totalement différent de l'aspect "huileux" des toiles ou même des fresques à l'européenne. Car l'eau dissout les pigments en les transformant en un fluide à la teinte plutôt homogène, où seules ressortent les nuances entre pâleur et vivacité, tandis que l'huile créé avec eux une pâte épaisse aux tons irréguliers, dans laquelle le pinceau va laisser l'empreinte de ses poils, aussi infime soit-elle.
Le pinceau employé, dont le renflement des poils est situé tout près de sa base en bambou, contrairement à celui d'Occident, ne se manie qu'avec l'épaule et le coude, et demande une très grande maîtrise de soi, ce qui implique de savoir respirer sereinement, en harmonie avec son tracé. Les peintres chinois sont d'ailleurs souvent d'abord et avant tout des calligraphes hors pair, choisissant d'illustrer de dessins minutieux et/ou expressifs leurs écrits en idéogrammes. Et un véritable amateur d'art asiatique sait autant apprécier la calligraphie que la peinture qui l'accompagne. Car ce "coup de pinceau" restitue les moindres mouvements, révélant par la-même la personnalité et l'état d'esprit de son auteur.
De plus l'encre noire appliquée sur du papier ou de la soie n'autorise que peu de retouches, ce qui exige d'avoir des idées limpides, une technique sûre, tout comme une exécution spontanée. Et les formats étant plutôt étroits et tout en longueur (rouleaux), soit horizontaux (
tcheou ou makimono, qui se déroulent de droite à gauche, incluant une dimension temporelle), soit verticaux (
chou-kiuen ou kakemono, qui se lisent de haut en bas), impossible de peindre en extérieur. Si l'observation se fait bien en plein air, l'exécution de l'œuvre a lieu dans un atelier où l'artiste se remémore ce qu'il a vu dans une sorte de profonde méditation. Cette méthode donne une vision synthétique du sujet, et convient tout spécialement à la réalisation de paysages.
Or ce thème, avec les fleurs, les bambous, les animaux (dragons, chevaux, singes, insectes, grenouilles...), et les scènes religieuses ou impériales est l'un des préférés des Chinois, qui approchent généralement la nature (reliefs, faune et flore) avec respect. Dans ce contexte, les peintures suspendues au mur, sans cadre, ne sont pas des éléments "passifs" et séparés du reste, mais participent activement à l'environnement dans lequel ils doivent s'inclure harmonieusement. Ainsi, on pourra sortir un rouleau peint de sa boîte que si l'occasion se présente, lorsqu'on s'apprête à recevoir des amis qui sauront l'apprécier et/ou que le moment de la vie correspond à ce qu'il exprime (saison, événement).
Enfin, pas de perspective scientifique ni d'étude du corps humain dans la peinture chinoise, comme c'est le cas en Occident: l'homme occupe une place bien plus restreinte dans un monde souvent considéré comme mystérieux et sauvage, qu'il n'aurait pas l'audace de tenter de dominer. Et mis à part quelques sujets érotiques, les protagonistes sont toujours vêtus d'habits amples et apparaissent la plupart du temps en miniature, excepté quand il s'agit de divinités ou de personnages importants.
Un peu d'histoire
Alors que les premiers signes de la naissance de l'art chinois que l'on ait retrouvés (entre 7000 et 3000 ans avant J-C) se reconnaissent aisément à leurs formes géométriques ou zoomorphiques très répétitives, la peinture devient plus douce et plus aérée à partir du premier millénaire avant J-C.
Influencés par les philosophies de
Confucius (insistant sur l'ordre social) ainsi que du
Tao (portant essentiellement sur les liens entre les hommes et la nature), les artistes chinois développent peu à peu un art du paysage - unique par ses montagnes accidentées, ses cours d'eau tortueux et.. son absence de perspective -, reflet de l'âme humaine qui s'y projette.
Selon la légende, l'invention du pinceau serait due à
Che Houang (2697-2597). Les plus anciens découverts dateraient des 5ème et 4ème siècles avant J-C.
Sous la Dynastie des Han (de 206 avant J-C à 220 après J-C), la Chine s'unifie pour la première fois et recrute des lettrés de tous horizons pour gérer son service administratif. La curiosité intellectuelle est si forte que le bouddhisme venu d'Inde intéresse autant les Han que l'élixir d'immortalité taoïste...
Personnalité individuelle et indépendance sont très largement encouragées par le Tao, qui permet le vide et l'harmonie dans une sorte d'"inaction" pleine d'humilité, tandis que le confucianisme ordonne l'ensemble du pays grâce à une puissante autorité traditionaliste et conquérante.
Durant les Six Dynasties (265-581), le pays quitte cet équilibre prospère et se morcèle, subissant une longue et sombre période de troubles. Une forte influence nordique et bouddhiste (comme à
Touen-houang) se fait sentir et le Sud jugé auparavant trop "barbare" gagne en considération. Les valeurs du taoïsme empiètent sur celles du confucianisme, les lettrés préférant se réfugier dans les montagnes ou les monastères pour échapper au tumulte.
C'est vers cette époque que se fixent les règles fondamentales de la peinture: 1. l'expression du souffle vital et du mouvement, 2. le soulignement de l'ossature par un travail habile du pinceau, 3. la représentation fidèle des objets et des formes, 4. le respect du sujet et de ses couleurs, 5. l'établissement du dessin, à savoir de sa composition, 6. la perpétuation de la tradition en copiant les Anciens.
La dynastie des Tang (618-907) favorisa le développement de l'art ainsi que de savoirs de toutes sortes. L'armée gagna en puissance et les échanges avec l'étranger furent plus importants, le commerce étant florissant et très organisé. Plus encore que sous les Han, on estime ainsi que l'harmonie entre taoïsme et confucianisme atteignit alors son apogée. Les étrangers, notamment religieux et savants étaient volontiers accueillis dans le pays tandis que de nombreux pèlerins et voyageurs chinois explorèrent l'Inde et rapportèrent des textes sacrés ainsi que des pratiques spirituelles qui enrichirent la culture traditionnelle et ancestrale.
Cette ouverture intellectuelle contribua nettement au développement littéraire, notamment poétique (
Li T'ai-po,
Tou Fou,
Meng Hao-jan,
Wang Wei,
Pai Chu-yi...) mais aussi à celui des sectes, parmi lesquelles celle d'
Amida, qui n'imposait que d'invoquer le
Bouddha Amida né dans une fleur de lotus, eut une influence grandissante et devint peu à peu la plus fréquentée. D'autres bouddhistes préféraient soulager la souffrance humaine en faisant preuve de compassion envers leurs semblables.
Mais certains adeptes du Tao ou du confucianisme critiquèrent vivement ces courants religieux et spirituels, qui leur faisaient ombrage. Ce qui n'empêcha nullement à la Chine de se réapproprier le bouddhisme venu de l'Inde en le mêlant à ses propres traditions, permettant du même coup sa diffusion en Corée, au Japon et en Asie du Sud Est.
La première académie impériale de peinture (
Tou-houa-yuan) est fondée au 8ème siècle par Hiouang Tsong. L'art du paysage prend alors ses lettres de noblesse grâce aux peintres professionnels de la
famille Li, qui utilisaient des couleurs vives (bleu, vert, or..), typiques de ce qu'on appellera plus tard l'"
École du Nord", mais également grâce à
Wang Wei (699-759), célèbre pour ses panoramas monochromes (souvent enneigés), caractéristiques de l'"
École du Sud". Ce dernier, incarnant l'idéal de l'homme honnête, cultivé et expert dans les arts aura de nombreux successeurs ne faisant usage, comme lui, que d'une seule encre, jouant avec ses multiples nuances subtiles.
Durant la période des Cinq Dynasties (907-960) se succédèrent des dictatures
militaires qui divisèrent le pays. Les Chinois se recentrent alors sur
leurs valeurs et leurs traditions esthétiques. Les peintres se
perfectionnent dans l'art du paysage, de plus en plus net et minutieux,
toujours plus inspirés par une nature réconfortante en ces temps de
troubles.
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Troupeau de cerfs dans la forêt; anonyme (vers 907-960), détail d'une peinture sur soie. |
C'est
un moment dit d'équilibre entre la vitalité des Tang et la sérénité des
Song, où les Chinois sont amenés à la maîtrise d'eux-mêmes. Le chaos
politique semble avoir provoqué un renouvellement artistique important,
redonnant plus de force à l'individu, qui préfère souvent peindre à
l'écart en cultivant des valeurs humanistes plutôt que d'affronter les
problèmes du pays de trop près. Malgré ces évolutions techniques et
intellectuelles, les artistes conservaient de solides références
littéraires issues des Tang.
La Dynastie des Song (960-1279) s'installe difficilement mais parvient à
rétablir la paix en réduisant la puissance des provinces tout en
rétablissant un pouvoir centralisé. Seul le Nord reste une menace
continuelle, les Mongols tentant d'envahir la Chine à plusieurs
reprises. Sur le plan spirituel, le confucianisme intègre des idées
taoïstes et bouddhistes. Le philosophe
Tchou-hi (1130-1200) considérait
ainsi que la "puissance suprême" de la nature était à l'origine de la
création de l'univers à travers le Yin et le Yang (harmonie
fondamentale), inspirant de nombreuses peintures de paysages dont les
hommes font intégralement partie mais très humblement, en tout petit.
Sous
les
Song du Nord (à savoir avant la capture de l'empereur Houei-tsong
par les Mongols), les artistes perpétuèrent pour beaucoup l'art et les
traditions des cinq dynasties.
Mi Fei (1051-1107) fut un des rares à peindre des paysages uniquement selon sa fantaisie, s'affranchissant de tous les principes de composition déjà très contraignants. D'autres encore s'attelèrent,
suivant l'idée innovante de
I Yuan-ki, à représenter des fleurs et des
animaux. L'académie des Song s'efforça de faire perdurer les efforts
entrepris par celle des Tang pour aider notamment financièrement les
peintres talentueux qui acceptaient de se plier aux exigences
impériales.
En effet, les empereurs étant eux-mêmes souvent très doués,
ils imposaient parfois des règles extrêmement strictes, comme
Houei-tsong (1101-1125) par exemple. Les membres de l'académie
recevaient alors les commandes des plus fortunés, qui aimaient tout
particulièrement la faune et la flore miniatures, très réalistes, peints
avec un fourmillement de détails, toujours suivant la tradition.
Les
Mongols s'étant révoltés contre les Chinois, l'empereur et ses gens de
cour furent faits prisonniers, tandis que beaucoup d'autres se cachèrent
dans les montagnes. Un peu plus tard, l'armée des Song ayant repris
possession de ses territoires,
Kao-tsong, fils de Houei-tsong, rétablit
l'académie impériale avec les survivants, ce qui donna lieu à un siècle
d'existence raffinée.
Parallèlement, le
tchan,
ou bouddhisme zen, dit "de contemplation", implanté en Chine dès 520
par le prêtre indien
Bodhidharma, s'est développé au point d'influencer
de très nombreux peintres. Il s'agit de méditer longuement en vue d'une
purification de l'esprit permettant d'atteindre le "grand vide",
unissant peu à peu le pratiquant à la "vérité suprême". Cette doctrine
mettait en évidence la présence de Bouddha en toute chose, de l'insecte
au rocher, encourageant la communion avec la nature et la
diversification des thèmes. La peinture
tchan porte un intérêt
profond à toute la création. Pas d'iconographie rigide: le plus
insignifiant est révélé dans toute sa densité. Spontané comme la vie, le
coup de pinceau n'a pas droit à l'erreur car on ne peut l'effacer. Dans
ces conditions, la peinture est unique, et sa réalisation d'une extrême
difficulté. Cet art spirituel instantané et dépouillé, qui demande de
la personnalité, de la dextérité mais surtout de la concentration eut
aussi un grand succès au Japon, où il se développa beaucoup par la
suite.
Au
12ème siècle, l'académie des
Song du Sud vit éclore les talents de
Ma Yuan et
Hia Kouei, très appréciés de la cour, qui fondèrent l’École
Ma-Hia, moins austère. On les connaît surtout comme étant les artistes
ne "peignant qu'un coin sur quatre", laissant le vide s'exprimer autant
sinon plus que le reste. Ce style ayant eu du succès, il fut largement
copié...
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Deux des "Neuf dragons"; Tchen Yong; 1244, fragment d'un rouleau; encre et couleur légère sur papier. |
Après les
nombreuses campagnes énergiques de
Gengis Khan (1162-1227) pour envahir
l'Asie,
son petit fils Khoubilaï devint à son tour empereur en 1260,
marquant le début de la
Dynastie des Yuan (1260-1368). Sous la
domination des Mongols, réputés pour leur cruauté et leur barbarie, les
Chinois sont employés à de rudes travaux forcés. Mais la paix étant de
retour, de nouveaux échanges se développent entre le pays et l'Europe,
les Yuan engageant même certains Occidentaux robustes à leur service
(Marco Polo est l'un des plus célèbres...).
Si
les traditions chinoises restèrent vivaces, l'influence mongole
pourtant brève fut profonde. Avec la disparition des écoles officielles,
les artistes affirment leurs singularités. A quelques exceptions près,
la plupart sont des lettrés qui refusent d'obéir au pouvoir étranger et
peignent parce qu'ils savent qu'ils ne subiront pas de répression, les
occupants ne s'intéressant pas ou peu à l'art. D'autres, en revanche,
choisiront de travailler pour le compte des Yuan.
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Insectes et lotus; Tsien Siuan (1235-1290); rouleau; encre et couleur sur papier. |
L'époque
est un curieux mélange de nostalgie des riches heures des Tang voire
même de l'âge d'or des Song (10ème siècle principalement) et de
recherches spirituelles de la part des lettrés sur les liens entre
peinture et calligraphie, donnant lieu à la création du "
wen jen houa",
la peinture des hommes cultivés, base de l'art pictural chinois et
japonais ultérieurs. Ainsi les Chinois perpétuent les représentations de
la faune et de la flore du passé en enrichissant sans cesse leur
technique. Pour ce qui est du paysage, on distingue notamment
Kao K'o-kong ainsi que "les quatre grands maîtres de la Dynastie des Yuan":
Houang Kong-wang (1269-1354),
Wang Mong (?-1385),
Wou-tchen (1280-1354)
et
Ni Tsan (1301-1373).
A
la mort de Khoubilaï en 1294, l'empire s'effondre rapidement, ses
successeurs demeurant trop faibles pour maintenir l'unité du pays. Crise
économique et famine frappent les différentes régions qui en reviennent
temporairement à un système de troc pour subsister. Dans un climat de
terreur où beaucoup de Chinois craignent d'être massacrés par les
Mongols, une opposition invisible s'établit avec force. D'origine très
modeste,
Tchou Yuan-tchang, moine devenu soldat, rejeta définitivement
les derniers Yuan hors du pays en 1361.
Tchou se
proclama premier empereur de la
Dynastie "brillante" Ming (1368-1644),
réunissant à nouveau et durablement la Chine. Tout pouvoir étranger
écarté, les institutions culturelles traditionnelles furent remises en
place, notamment en vue d'obtenir le soutien des fonctionnaires érudits.
Des projets culturels d'envergure tels que la création d'Encyclopédies
furent encouragés, tout comme l'architecture, puisqu'il fallait
reconstruire, notamment dans les régions reconquises par l'armée.
En
ce qui concerne les arts populaires, drame et roman eurent un grand
succès et les ouvrages de céramique, de laque ou de métal sont
volontiers financés par les plus aisés. De nombreux savants richissimes
furent à l'origine de grandes bibliothèques et collections d'œuvres
d'art.
Conservatrice,
la Dynastie des Ming n'encouragea que la répétition des œuvres du passé
glorieux des Tang ou des Song, refusant toute innovation créatrice, son
but étant de maintenir son pouvoir dans la paix à travers un univers
rassurant. Le confucianisme devint pilier de l’État et tout
fonctionnaire devait s'y conformer. Le bouddhisme, lui, fut largement
déprécié, et avec, toutes les émotions profondes qu'il prônait. Au
début, notamment durant le 15ème siècle, des maîtres très compétents
surent reprendre avec talent les réalisations des Anciens, en accentuant
l'intérêt porté à la vie quotidienne et aux détails, comme
Tai Tsin,
considéré comme le fondateur de l’
École Tchö, ou bien en manifestant un
grand intérêt pour les liens existant entre les hommes et la nature,
détachée de toute considération mondaine, comme
Chen Tcheou (1427-1509), à
l'origine de l’
École Wou.
Mais
bientôt, face à des exigences académiques de plus en plus strictes, les
nouveaux génies se raréfièrent et l'art se réduisit quasiment en
copies, expertises et collections. Peu à peu, la peinture, devenue
accessible aux moindres petits fonctionnaires "barbouilleurs" par le
biais de traités de vulgarisation, perdit tout son mystère et sa
subtilité en devenant une simple application de théories sur les formes,
les teintes et les couleurs.
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Fleurs, graminées et oiseaux sauvages; Liu Ki (actif vers 1500); encre et couleur sur papier. |
Cependant, certains artistes aux mœurs très controversées, comme Siu Wei (1529-1593), sortirent du lot
au 16ème siècle, en ne travaillant que selon leur humeur et leur
plaisir. Si leur réputation fut souvent malmenée, ils donnèrent à leur
façon un souffle nouveau à l'art pictural.
Au 17ème siècle, un fossé s'étant creusé entre peintres de cour au style formel et artificiel
vivant de leur art et peintres amateurs érudits au style plus libre,
Mouo Che-long et
Tong Ki-tchan (1555-1636) classèrent les premiers comme
représentatifs de l’École du Nord (
pei tsang houa), académie
professionnelle reconnaissable à ses choix de couleurs et de contours
marqués (
Ma Yuan,
Hia Kouei, l'
Ecole des Tchö..), et les deuxièmes comme
issus de l’École du Sud (
nan tsang houa/
wen jen houa) caractérisée par des paysages brumeux et monochromes (
Mi Fei,
Wang Wei, les quatre grands maîtres Yuan..).
Pour autant, cette distinction parfois arbitraire des critiques d'art
ne manque pas de contradictions, étant donné les nombreux échanges qu'il
y eut entre les deux courants.
Géographiquement,
Nord et Sud cessent aussi de s'entendre: beaucoup de familles d'érudits
ayant fui au Sud pour échapper aux invasions des Mongols se retrouvent
en concurrence sévère et ne peuvent plus accéder aux postes de
fonctionnaires, auxquels des lettrés du Nord, de niveau intellectuel un
peu moins élevé, mais pas très nombreux et plus proches de la capitale,
sont plus aisément admis. Mécontents, ceux du Sud participent à
l'agitation politique ou alors se réfugient dans l'art, acceptant même
avec joie de vendre leurs œuvres pour vivre et devenant peu à peu à leur
tour des professionnels (ce qui ne facilite pas leur classification!).
Un style amateur mais très convenu émergea, tandis que les peintres "non
professionnels" prirent de l'importance dans l'arbitrage du goût.
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Conversation sous un arbre; Kieou Ying (actif vers 1522-1560); encre et couleur sur papier. |
La
corruption et les menaces du Nord (Japonais et Mandchous) eurent raison
de la dynastie des Ming. Le chef populaire
Li-Tseu-tcheng organisa un
soulèvement et s'empara de Pékin en 1644. Ce fut la naissance de la
Dynastie des Tsing (1644-1911).
Wou san-kouei, général Ming
ayant lutté contre les Mandchous, devint rapidement son rival, et
accepta même une alliance avec ses anciens ennemis du Nord pour envahir
la capitale et chasser Li-Tseu vers l'Ouest tout en gagnant de nouveaux
territoires. Plus tard, les Mandchous occupèrent également le Sud de la
Chine, grâce au soutien d'empereurs puissants.
Nord
et et Sud s'opposent alors d'autant plus que ce peuple étranger assez
peu cultivé se heurta aux lettrés du Sud exaspérés de demeurer sans
emploi, qu'ils pillèrent allègrement. La peinture devint un art
politique et dans ce contexte, mieux valait éviter de faire trop
référence à elle, surtout s'il s'agissait d'œuvres exécutées par des artistes jugés trop "indépendants" ou "originaux".
Des
"
individualistes" comme
Tchou-Ta,
Kouen-Tsan et
Tao-Tsi, réagirent
violemment contre l'état d'esprit Ming encore présent au milieu du 17ème
siècle en innovant dans des peintures aux techniques et aux
inspirations toutes personnelles, avec une négligence souvent volontaire
et un souci d'exprimer une intense émotion.
Les Mandchous étant moins nombreux et moins érudits que les Chinois, mais
favorisés par rapport à ceux-ci pour l'obtention de charges et de
revenus, certains d'entre eux devinrent des lettrés respectés même par
les Chinois, comme Kao Ki-pei, par exemple, célèbre pour ses peintures à
l'ongle (
tche-teou-houa), art qu'il a su perpétuer avec génie.
Pour
la première fois les peintres chinois cessèrent de suivre leurs
prédécesseurs et n'eurent plus aucun maître pourtant indispensable jusque-là. C'était même devenu une qualité que de ne rien devoir au
passé. Au 18ème siècle, les mécènes fortunés de
Yang-tcheou
accueillaient de nombreux érudits pauvres et sans emploi pour faire
vivre leurs nouvelles bibliothèques à l'occasion de grandes réunions
littéraires et philosophiques, dont certaines furent surveillées de près par les
Mandchous, par crainte de futures rebellions. L'élite culturelle de la
Chine devait donc faire profil bas, même si le talent de beaucoup de ses
membres n'était pas apprécié à sa juste valeur.
Par
ailleurs, les peintres les plus divers ayant été très nombreux à cette
époque, les historiens chinois rencontrèrent de réelles difficultés pour
les classer selon leur style aussi rigoureusement qu'autrefois, se
trompant assez souvent. En général, ils se contentaient de suivre la
géographie, considérant le lieu de vie de l'artiste comme étant ce qui
l'influence le plus. De cette multitude ressortent aisément "
les Huit Excentriques de Yang-tcheou", reconnaissables à leurs singulières
calligraphies qui se veulent tout sauf élégantes. Les illustrations qui
les accompagnent sont tout aussi sèches et vigoureuses. Ce genre de
réalisation fut très apprécié par la suite, inspirant autant la peinture
chinoise que japonaise des 19ème et 20ème siècles. A partir de 1912, avec la
chute de l'empire, remplacé par la République, ainsi que la mondialisation progressive durant les cent dernières années, l'art pictural traditionnel connaît
un déclin sans précédent, l'Asie s'essayant désormais davantage aux
techniques Occidentales.
Merci à Stéphane W!